Le Tokai HongroisLa légende prétend que le Tokaj aszù (prononcer tokaï assou) a été découvert par hasard en 1650. À la fin de cet été-là, une invasion turque menaçait le pays, obligeant à reporter les vendanges à des jours plus sereins. Quand les grappes purent finalement être récoltées, la pourriture noble avait couvert les raisins. A Pâques suivant, le vin fut tiré et les spécialistes s'exclamèrent : "Quel joyau !" La méthode de vinification du tokaj aszù était née.
Ce nectar, digne des meilleurs sauternes, considéré comme un élixir de longue vie, provient du nord-est de la Hongrie, de la région de Tokaj-Hegyalja, qui lui a donné son nom. Depuis plus de mille ans, ce terroir au sol volcanique est planté de ceps : les Romains les ont introduits en 290 avant notre ère...
Région charnière entre la Haute-Hongrie, la Transylvanie et mêne la Pologne, elle comprend de nombreux châteaux gothiques, renaissance ou baroques (Vizsoly, Szerencs et Rakoczi-Dessewffy), des ruines perchées sur les contreforts des Carpates, à la frontière de la Slovaquie et de l'Ukraine. Autant de vestiges qui soulignent son caractère slave empreint de romantisme.
Le vignoble s'étend sur une soixantaine de kilomètres. Seules 28 communes, dont celle de Tokaj, ont droit à l'appellation. Cette petite ville, à 200 km au nord-est de Budapest, est la première étape de la route des vins. Elle est située au pied du mont Tokaj, au confluent des rivières Tisza et Bodrog.
Autre étape fortement recommandée, le domaine impérial de Hetszölö. Dirigé par Tibor Kovacs, vigneron hongrois, il appartient aux Grands Millésimes de France qui détiennent aussi Château-Beychevelle à Saint-Julien. La cave a été créée en 1502, et fut propriété de Gaspar Karolyi, le premier traducteur de la Bible en hongrois. Plus tard la famille Rakoczi s'en occupa, puis c'est au tour de Gyôrgy Rakoczi, prince de Transylvanie (1600-1648), de Ferenc Rakoczi II... Le vin aszù est alors si recherché qu'il est expédié jusqu'en Suède. Frédéric de Prusse, Pierre le Grand ou Louis XIV en apprécient alors eux aussi les arômes.
Plus au nord, Tolcsva est un petit village perché au-dessus des vignobles Mandulfis et Kùtpadka. Ici plane le souvenir des nobles familles hongroises disparues avec la Seconde Guerre mondiale. Ses trésors se cachent derrière de petites entrées de caves creusées à flanc de colline, sous des vignobles millénaires dont la récolte, grain par grain, s'appelle "vinum regum-rex vinorum", "le vin des rois-le roi des vins". Une citation qu'on lit aujourd'hui sur chaque bouteille de tokaj.
Au domaine Orémus, ancien nom du cépage zéta, l'accueil est assuré par Andras Bacsco, le maître de chais, qui conduit lui-même la visite du cellier, véritable musée du vin. Un réseau de quatre kilomètres de caves abrite plus de 3 000 fûts de chêne. L'Oremus, ancien joyau de la famille des princes Rakoczi, produit un des premier tokajs.
Sur les bords de la rivière Bodrog, il ne faut pas non plus manquer les caves du Château-Megyer et du Château-Pajzos, deux superbes tokajs qui appartiennent à Jean-Louis Laborde, propriétaire de Château-Clinet, à Pomerol.
Les secrets des raisins d'aszùLes grains d'aszù, issus de raisins de trois cépages du tokaj atteints de pourriture noble, sont ramassés un par un, manuellement. Ces grains sont cueillis du début du mois d'octobre, pour le muscat, et jusqu'à mi-novembre, pour le furmint et l'hàrslevelu. Mais, d'après la loi actuelle, une vendange d'aszù doit être faite à partir d'un même cépage, au choix.
Les grains étaient autrefois collectés dans des hottes en bois appelées puttony, d'une contenance de 25 kg de raisin. Pour en extraire les sucres et les saveurs, ils doivent macérer, entre douze et quarante-huit heures, dans une cuve avec du moût frais, du moût en fermentation ou du vin sec, en fonction du style de vin désiré. L'aszù est ensuite pressé.
Traditionnellement, la qualité du tokaj est graduée en nombre de hottes d'aszù ajoutées à la quantité de vin de base (vinification classique) qu'une barrique peut contenir, c'est-à-dire 136 litres. Plus il y en a, plus le vin est doux. Le tokaj qui se rapproche le plus du sauternes est l'aszù cinq puttonyos : 125 kg de grains aszù (l'équivalent de cinq hottes) mélangés à 136 litres de vin de base. Issus de grains sains, ce vin de base est un assemblage de quatre cépages : le furmint, l'hàrslevelu, le muscat jaune et le zéta.
- Le furmint est une variété locale qu'on trouve dans toute la Hongrie, mais plantée plus spécialement à Tokaj.
- L'hàrslevelu est un autre grand cépage originaire du pays. Au mûrissement tardif, il produit souvent un vin aromatique avec une acidité plus douce. Sa véritable qualité est de résister aux pluies excessives.
- Le muscat jaune est une mutation du muscat blanc à petits grains, peut-être la plus vieille variété de raisins. Il mûrit plus tôt que le furmint ou l'hàrslevelu, ce qui permet de l'utiliser comme vin sec de base. Il est également plus bas en acidité mais joue sur le profil aromatique.
- Le Zéta, autrefois connu sous le nom d'oremus. est réapparu récemment Ce croisement hongrois de furmint et de bouvier, de mûrissement précoce, est très sensible à la pourriture noble. C'est un cépage d'assemblage peu utilisé.
Jadis, le tokaj devait vieillir quatre ans, plus des années additionnelles en fonction du nombre de hottes ajoutées : un aszù cinq puttonyos devait donc passer neuf ans en barrique. Malheureusement, la plupart des arômes de fruits étaient sacrifiés. Depuis 1993, ce vin liquoreux vieillit au minimum deux ans en barrique et un an en bouteille.
( source le figaro )